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La Phocide dans la presse
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remue.net - 10
octobre 2008
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Jean-Luc Nancy et
les éditions de La
Phocide
par Sébastien Rongier |
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Source:
http://remue.net
Les
éditions de La Phocide,
nécessairement à la croisée
des chemins débutent leur
aventure éditoriale par deux
livres singuliers et
importants. Le premier Le
poids d’une pensée, l’approche
est de Jean-Luc Nancy, le
second Ethique et
expérience. Lévinas
politique est de Gérard
Bensussan.
Cette jeune maison ouvre le
chemin en soulignant des
affinités et une exigence.
Le livre de Jean-Luc Nancy
qui reprend divers articles
et conférences, devrait se
lire comme un espace d’expérimentation.
Il ne fait le tour de « rien
», ne nous dit évidemment
pas le poids que ferait une
pensée... il approche sans
chercher à parvenir (le
chemin plutôt que la
destination).
Commençons par la fin du
livre. Commençons par
souligner que ce livre, Le
poids d’une pensée, l’approche,
se termine par une citation
littéraire, quelques vers de
Rilke : invitation (aux
résonances baudelairiennes)
à « m’enfoncer dans la
rumeur nocturne ».
Chemin proposé, invitation
transmise, et question posée
: quelle serait cette rumeur
nocturne ? Quelle serait
pour la pensée cette image
rilkéenne ?
Une réponse possible, l’hypothèse
que l’on suggère pour
accompagner une lecture, est
l’écriture elle-même. Ce
livre de J.L. Nancy est
entièrement traversé par la
question de l’écriture.
Chacun des onze textes est
une « approche » de l’écriture
possible d’un philosophe
contemporain. Mais il nous
met en garde dès la préface
:
Cela ne se montre que par
touches, esquisses, profils
dérobés, moules perdus...
[p. 8]
Où sommes-nous ? Où se situe
cette écriture (cette
pensée, donc) qui approche
ce qui se dérobe ? Une fois
encore, commencer par la fin
et envisager cette place :
la bordure.
Le bord est cela par où
la limite fait contact ou se
fait elle-même contact. Sur
la limite, les singuliers
sont bord à bord. Ils se
touchent ainsi, c’est-à-dire
qu’ils s’écartent de rien :
très exactement, du rien qu’ils
ont en partage. Les bords
sont les uns pour les autres
dans le double rapport de l’attraction
et de la répulsion. Par le
bord, on peut aborder à l’autre
bord, voire se livrer à un
abordage. On peut aussi
déborder, précisément pour
aborder de l’autre côté, à
moins de se répandre
seulement dans le rien de la
limite : cela dépend de
l’énergie, de l’impétuosité
avec laquelle on s’élance.
[p. 131-2]
Alors Jean-Luc Nancy
pratique les croisements,
appelle ce qui est
hétérogène, le frotte au
seul domaine (supposé) de la
pensée pour mieux se plonger
dans les méandres de l’acte
d’écrire la pensée [...« m’enfoncer
dans la rumeur nocturne
»...]. Il tente la pensée,
approche constamment cette
question (la possibilité d’écrire
la pensée) en bordure. Allez
voir ce texte « Espace
contre temps » pour
découvrir l’importance de
cette rythmique propre à la
pensée, à celle de Nancy.
Syncope et retour,
fragmentation et plongée
dans les paradoxes. On a
parfois l’impression d’un
jazzman, un Coltrane à New
Port par exemple, qui
explorerait les tensions
d’une ligne de pensée en
tordant les habitudes. Dès
lors de se demander si, en
creux de cette interrogation
sur le temps, ce n’est pas
de sa propre écriture (de sa
propre pensée) qu’il parle :
Penser : une vitesse dont
aucun temps ne peut rendre
compte. Et donc, pas une
vitesse. Un écart, une
dis-location : voici un
autre lieu, un autre topos.
(...)
Les passages : écartements,
branchements, connexions,
déconnexions, interfaces,
mais ce qui passe, comme tel,
en tant que cela est, ne
passe pas. Ou bien, est
passé ou encore à passer :
et n’existe pas. [p.
86-7]
Le livre de Jean-Luc Nancy
peut donc être lu comme un
ouvrage sur la langue, et
sur le langage, sur le
transport de langage dans la
pensée : ce que serait la
question « Le poids d’une
pensée » dans l’article du
même nom, l’approche
singulière de la voix en
philosophe dans une courte
saynète dramatique dans «
Vox clamans in deserto », ou
encore ces notes autour de
Hegel pour brosser le «
Portrait de l’art en jeune
fille » ; ou encore cette
suite autour du voir, cette
tentative du regard dans la
pensée dans « Les iris »,
texte dans lequel on lit
C’est écrit pour le temps
perdu passé à écrire,
quelques grammes d’existence,
quelques instants d’insistance.
[p. 73]
Ce qui insiste dans tout le
texte de Nancy, c’est cette
volonté d’explorer les
possibilités de l’écriture
philosophique en maintenant
au plus loin cette place
fragile de la bordure.
Le photographique prend dans
ce contexte une place
particulière et intense.
Jean-Luc Nancy n’en fait pas
un objet d’étude. Il vient
travailler avec elle,
dialoguer, en se plaçant
toujours au plus près de ce
bord qui permet (et
conditionne peut-être) l’échange.
Rien n’est plus juste pour
accueillir le sens de ce
terme approche que le texte
« Georges » qu’il consacre à
cet homme que l’on voit sur
quelques photographies.
Et comment ne pas évoquer le
texte intitulé avec évidence
« L’approche », texte qui
éprouve la pensée à partir
d’une photographie d’Anne
Immelé. S’agit-il de penser
la photographie, de penser
avec, dans ou au bord d’elle
? La question reste ouverte.
Si l’on peut décrire ce
texte, alors évoquer une
rêverie au bord d’un lac, au
bord d’une photographie d’un
lac (référence, hommage
souterrain et digressif à
Rousseau ?) ; le texte est
d’abord un entretien de la
pensée avec cette
photographie. L’interrogation
de ou sur l’image n’est
finalement pas l’enjeu. Ce à
quoi le lecteur assiste dans
ce texte, c’est au
dépliement du sens, d’un
sens possible. Ce qui vient
avec l’image (dans le
dialogue avec l’image),
c’est l’écriture d’une
pensée qui questionne
constamment ses propres
conditions, qui interroge
toujours ses présupposés.
Ce qui est à voir est le
monde, mais le monde nous
fait bien voir que ce qui
voit et ce qui est vu n’ont
lieu que dans l’approche de
chacun par l’autre et dans
l’approche de chacun vers l’autre.
Cette approche est infinie —
littéralement et
actuellement infinie. Non
potentiellement : ce n’est
pas une distance toujours
progressivement mais sans
fin réductible. C’est un
écart toujours infiniment
présent. C’est imminence
d’une immanence qui reste
imminence. Qui, par
conséquent, ne cesse pas de
transcender — de
transparaître ou de
transpirer. [p. 121]
A la question posée par
Jean-Luc Nancy lui-même dans
« Coupe de style »,
Du style dans la
philosophie : en avoir ou
pas ? [p. 75]
on se gardera bien d’avancer
une réponse sinon que la
question du style chez
Nancy, la question d’écrire,
et donc de pensée, est chez
lui, une affaire de risque
qui ne se mesure que dans
l’expérimentation du
langage, de ses formes et un
dialogue toujours renouvelé
avec ce qui ne serait pas
lui.
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T o
u s d r o i t s r é s e
r v é s
n° siret : 500 163 597 00015 - code APE : 5811Z |
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